La solidarité, aspect sociologique et aspect législatif. Exemple avec le DALO.



À l’heure où, en France s’opère une réforme en profondeur des minima sociaux et où 2010 est déclarée par l’ONU l’année internationale de la pauvreté il est nécessaire de s’interroger sur l’importance de la notion de solidarité dans la réflexion sociologique,  sur les défis auxquels notre système de protection sociale est confronté et sur l’évolution des représentations sociales de la pauvreté que cela engendre. A ce titre la CMU[1], le RSA[2] et le DALO[3] s’inscrivent dans une perspective historique et sociologique de longue durée. Dans cet article je m’attacherai particulièrement à ne parler que du DALO.
I La notion de solidarité.
Parler de solidarité en sociologie renvoie inévitablement à la thèse de DURKHEIM, De la division du travail social, (1893) où il utilise deux concepts : celui de solidarité mécanique et celui de solidarité organique à partir desquels il entend expliquer l’évolution des sociétés humaines. La première renvoie aux sociétés traditionnelles tandis que la seconde est une caractéristique des sociétés modernes. Pour définir le lien social, on peut effectivement prendre en compte ce fondement essentiel qu’est la protection, c’est-à-dire le fait de pouvoir se dire « je peux compter sur qui ? ». Tout individu se pose cette question. « Je peux compter sur un système de protection sociale généralisé mais si celui-ci s’écroule, je peux compter sur qui ? Sur mes proches, certes, sur ma famille, sur mes collègues de travail etc. » Mais ce n’est pas la seule dimension du lien social : l’autre dimension, tout aussi fondamentale, est de savoir « est-ce que je compte pour quelqu’un ? », c’est-à-dire « comment je construis mon identité de façon à ce que l’on puisse me donner une certaine valeur dans la société, sur laquelle je peux aussi compter, pour me définir socialement, comme un individu membre de cet ensemble social. » En se posant ces questions les deux concepts durkheimiens sont ainsi intimement mêlés et l’on pourrait y rattacher la notion d’existentialisme. Il ne s’agit pas ici de superposer les concepts mais de comprendre ce qui se passe au XXIème siècle dans une société dite moderne dans un des pays les plus riches du monde. Si l’on parle de solidarité c’est parce que la pauvreté est omniprésente et est devenue un scandale.
Les sociologues s’interrogent sur la notion de pauvreté, cherchent à connaitre le sens même de la pauvreté, ils veulent savoir ce qui fait qu’un pauvre dans une société donnée est pauvre et rien que pauvre pour reprendre une expression de SIMMEL. Autrement dit, qu’est-ce qui constitue le statut social de pauvre ? A partir de quel critère essentiel une personne devient pauvre aux yeux de tous ? Pour moi, il ne s’agit pas de quantifier ou de classifier les pauvres, ce qui constituerait un obstacle épistémologique mais de voir d’une part ce que l’Etat met en œuvre dans ses politiques de solidarité pour en relever l’aspect qualitatif et de regarder ce que cela engendre dans l’évolution des représentations sociales. La société civile par son réseau associatif vient au secours d’un Etat qui doit faire face à de nouveaux défis en mettant en place de nouveaux dispositifs. Les manques de l’Etat sont contrecarrés par le développement d’une multitude d’associations d’insertion et d’aide aux locataires[4] car  l’accès aux droits reste une difficulté et c’est à ce stade que la société civile par la solidarité organique peut intervenir. Ce qui est en cause, c'est l'accès aux droits, le droit aux droits et le maintien du droit car on assiste à un retour de bâton en matière d’accès aux droits sociaux, par exemple la loi de 1999 qui porte la création de la CMU prévoyait le maintien de droits pendant quatre ans et sont désormais limités à un an. Les politiques de solidarités actuelles émergent dans un contexte de libéralisme qui creuse les inégalités c’est alors qu’un nouveau paysage institutionnel est en train de se dessiner avec les experts citoyens[5] qui arrivent à se frayer un chemin dans les méandres administratives et certains vendent ou partagent leurs compétences.

.II Les défis du système.
Dans une décision du 19 janvier 1995, le Conseil Constitutionnel affirme « que la possibilité pour toute personne de disposer d’un logement décent est un objectif de valeur constitutionnelle. » Dix ans plus tard,  la loi du 5 mars 2005 détermine une obligation de l’Etat de garantir un logement, elle établit une obligation de résultat de la part de l’Etat, le droit au logement ayant une valeur constitutionnelle.
Le droit au logement opposable est un nouveau droit, un droit pour tous au même titre que le  droit à la justice, à l’école ou à la santé.
C’est également le premier droit opposable de nature essentiellement économique et cela est une avancée dans l’histoire du droit français. Il a déjà fait considérablement bouger les lignes, il a rendu possible le logement de familles qui étaient sur une voie de garage depuis de nombreuses années. Ce droit est la première pierre de l’édifice du logement social dont les bénéficiaires les plus vulnérables vont enfin être pris en compte. Le droit au logement doit être protégé au même titre que le droit de propriété  par les engagements internationaux  de la France  et par l’évolution de son droit interne.
Le travail qui a donné naissance au DALO est la résultante d’un projet ayant pour principe directeur de rendre effectif les droits de l'homme. Ceux-ci ne sont pas seulement des droits théoriques, des droits virtuels, ou - comme on disait au moment de la guerre froide - des « droits formels », ils doivent être des droits concrets, inscrits dans la vie de tous les jours. Il ne s'agit pas d'inventer de nouveaux droits pour les plus démunis mais de rendre véritablement effectifs pour tous, les droits proclamés dans les grands textes de référence.
 La France est signataire du PACTE INTERNATIONAL RELATIF AUX DROITS ECONOMIQUES, SOCIAUX ET CULTURELS adopté et ouvert à la signature, à la ratification et à l’adhésion par l’Assemblée Générale  de l’O.N.U. dans sa résolution 2200 A (XXI) du 16 décembre 1966 qui dans son article 11 dit textuellement :
  «  Les Etats parties au présent Pacte reconnaissent le droit de toute personne à un niveau de vie suffisant pour elle-même et sa famille, y compris une nourriture, un vêtement et un LOGEMENT SUFFISANT (…) »
 Puis, en 1982, l’article 1er de la loi du 22 juin reconnait que « Le droit à l’habitat est un droit fondamental ; il s’exerce dans le cadre des lois qui le régissent […] » Huit ans plus tard la loi du 31 mai 1990 (Article 1er, alinéa 1) affirme que : « Garantir le droit au logement constitue un devoir de solidarité pour l’ensemble de la nation. »
Depuis des décennies, les politiques ont pris conscience qu’il fallait agir contre cette misère faite aux plus pauvres grâce à l’analyse de Joseph WRESINSKI qui a réuni des personnes influentes le 17 octobre 1987, sur le Parvis des libertés et des droits de l’homme à Paris  en gravant dans une dalle que « là où des hommes sont condamnés à vivre dans la misère, les droits de l’homme sont violés. S’unir pour les faire respecter est un devoir sacré. »
Les lois remplissent des kilomètres de rayon dans les bibliothèques mais les engagements politiques même quand ils existent font l’objet de comités de veille et de comités de suivi à tous les étages de la société. Les associations prennent en charge les comités de suivi qui en réfèrent au haut comité de suivi qui rapporte à une sous-commission elle-même faisant part de ses réflexions à la commission nationale.
Les citoyens sont toujours sceptiques face à une nouvelle initiative de leur gouvernement car les phrases du type « avant de faire une nouvelle loi il faut appliquer celles qui existent » peuvent être entendues aussi bien au café du commerce qu’à la radio ou dans les reportages télévisés. En ce qui concerne le DALO, l’Etat s’est posé une épée de Damoclès au dessus de la tête car le Conseil d’Etat, dans son tout récent rapport, s’inquiète de l’inflation de contentieux que le DALO peut produire si les choses se tendent comme il le craint et si les demandeurs non satisfaits deviennent légion[6]. Cette menace de contentieux détenue habituellement par l’institué est désormais dans les mains de l’instituant ce qui renverse les rites institutionnels traditionnels. De nouveaux toits se construiront en même temps que la société civile se construira une nouvelle dynamique faite de responsabilité et de solidarité.
III L’évolution des représentations sociales de la pauvreté.
            Comme nous venons de le voir, l’institutionnalisation du droit au logement ne pourra continuer à grandir qu’avec l’appui des citoyens car les différents combats sociaux n’obtiennent gain de cause que par la pression qu’ils sont capables d’exercer. Que l’expression de la pression soit compatissante ou vienne d’un élan démocratique, il n’en reste pas moins vrai qu’une démocratie  se construit avec la participation de chacun. Les sociologues énoncent, les partis de l’opposition dénoncent et la société civile s’annonce. La prise de conscience de la situation ne se fait plus seulement par les énonciations ou les dénonciations des uns et des autres mais par un vécu de la situation. L’insécurité sociale est de plus en plus menaçante, les sondages successifs montrent qu’un français sur deux à peur de se retrouver à la rue. L’anxiété gagne plus de terrain que la compassion mais l’individu ne s’enferme pas pour autant dans une pensée totalisante, au contraire, ce désarroi ambiant contribue à changer les représentations sociales sur la pauvreté. On ne peut donc plus dire aux pauvres qu’ils sont désargentés à cause de leur inactivité voulue. Il y a quelques années de cela, les nouveaux riches faisaient l’objet de convoitise, aujourd’hui ils sont supplantés par les nouveaux pauvres qui leur volent des centaines de colonnes dans les journaux. Les mentalités se transforment selon la conjoncture qui elle-même dépend de la structure. Le discours du citoyen s’émancipe parallèlement au retrait de l’Etat providence et devient plus avancé que ce dernier. Une sécurité sociale naîtra-t-elle de la solidarité ? Peu à peu nous verrons de nouvelles formes de liens car les libertés politiques, les avancées juridiques s’obtiennent en partie par l’émancipation de chacun.
IV Conclusion.
La Déclaration Universelle des Droits de l'Homme, se présente comme un idéal à atteindre[7]. Certains droits sont opératoires, d'autres pas, pour qu’ils le deviennent tous ils doivent faire l’objet d’un processus qui ne peut être porté que par la volonté de l’institué mais aussi par la pression de l’instituant[8]. La mise en œuvre d’une loi constitue un progrès humain. L’Humain se reconnaissant dans son aspect politique, civile et particulier c’est lorsqu’il a avancé dans ces trois domaines en même temps qu’il connait une véritable évolution. Si la Convention Internationale des  Droits de l'Homme tarde à être mise en application c’est parce que la conscience humaine n’est pas encore prête[9]. Le concept de conscientisation existe et il passe dans un premier temps par une phase de lutte contre les préjugés, les allant de soi et tout ce que l’on appelle communément les idées toutes faites.
Rien n’est jamais acquis car cela voudrait dire que quelque chose, quelque part, s'arrête. Le droit doit apporter un souffle nouveau au citoyen, non  une complexité supplémentaire. Il est une discipline vivante qui ne cesse de bouger, de s’adapter aux changements. Par exemple, actuellement, on constate qu’il se modifie en même temps que les nouvelles technologies. S’il a été possible de mettre en place le numéro unique de demande de  logement, c’est grâce à l’évolution technologique. Le droit ne se réduit pas pour autant à un aspect qui ne serait que technologique, technique ou juridique mais il est avant tout une avancée humaine qui permet de progresser sur la voie de l’évolution pour davantage de liberté et d’émancipation. 
Bien que la loi DALO apporte une avancée significative elle ne permet pas de prendre en considération l’ensemble de la problématique du logement en France, elle ne  vise qu’une partie de la population. Il est important d'avoir une approche globale, en ne se contentant pas de viser la satisfaction de besoins immédiats ou de « droits de base », si nécessaires et urgents soient-ils, pour réclamer tous les droits de l'homme, les droits civils et politiques, comme les droits économiques, sociaux et culturels. Il ne s'agit pas de « sous-droits », ou de droits au rabais, mais bien de droits essentiels, inhérents à la dignité humaine. Face aux besoins minima, nous devons invoquer des droits fondamentaux.
On se dit toujours que les énormes moyens qui sont mis en œuvre pour rendre les individus malheureux devraient être  utilisés pour les rendre heureux. Certes. L’autorité gouvernante ne mesure pas les dégâts humains produits par une injustice sociale, elle ne fait qu’appliquer des lois édictées par des règles répondant à des soucis purement économiques. Je pense notamment à l’expulsion locative. Le PIB n’est plus le seul indicateur de richesse, le PNUD[10] prend en considération la dimension humaine car un pays en paix qui est capable d’arracher ses habitants de leur logement est non seulement à plaindre mais il est à craindre.  Une véritable politique moderne digne du troisième millénaire doit être en mesure de conjuguer justice sociale et efficacité économique. Ce n’est pas incompatible. Tout est possible, les pauvres ne doivent plus être une cible, il faut cesser de s’attaquer aux pauvres mais s’attaquer à la pauvreté car elle est  désormais visible et elle n’est pas invincible.



[1] Couverture Maladie Universelle.
[2] Revenu de Solidarité Active.
[3] Droit Au Logement Opposable.
[4] Ce point est développé plus loin.
[5] Notion apparu chez les socialistes français pendant la dernière campagne présidentielle.
[6] 14 mois de DALO : quelques premiers enseignements. Intervention de J. Y. GUERANGER, le 16 juin 2009, à l’Ecole des Ponts à Paris.
[7]  « Article 25 : 1.Toute personne a droit à un niveau de vie suffisant pour assurer sa santé, son bien-être et ceux de sa famille, notamment pour l’alimentation, l’habillement, le logement, les soins médicaux ainsi que pour les services sociaux nécessaires ; elle a droit à la sécurité en cas de chômage, de maladie, d’invalidité, de veuvage, de vieillesse ou dans les autres cas de perte des ses moyens de subsistance par suite de circonstances indépendantes de sa volonté.

2. La maternité et l’enfance ont droit à une aide et à une assistance spéciales. Tous les enfants, qu’ils soient nés dans le mariage ou hors mariage, jouissent de la même protection sociale. »

[9] On pourrait prendre en exemple les difficultés que rencontrent OBAMA en voulant instituer une couverture sociale.
[10] Programme des Nations Unies pour le Développement.

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